Nous avons été invités au 1er Café des chercheurs, sur le thème « A quoi sert la recherche en alcoologie ? ». Cette première rencontre présidée par Marie Choquet, présidente du comité scientifique de la Fondation pour la recherche en alcoologie. ce café était animé par Philip Norwood, vice-président du comité scientifique de la Fondation pour la recherche en alcoologie, avec la participation de Mickael Naassila, Directeur du GRAP (Groupe de Recherche sur l’Alcool et les Pharmacodépendances) et Président de la Société Française d’Alcoologie.
Sujet tabou, l’alcool fait pourtant des ravages à travers le monde. On ne se rend pas forcément compte mais toutes les tranches d’âge sont concernées par l’alcoolisme : du foetus au sénior, et n’est plus « réservé » aux classes les plus démunies. On oublie souvent que l’alcoolisme EST une maladie.
Une maladie qui touche autant le malade, que son entourage, honte et culpabilité allant souvent de pair avec cette pathologie.
Aujourd’hui, la recherche souhaite travailler sur le plus large spectre possible, de l’exposition prénatale au sénior en passant par le binge drinking, définissant une pratique bien connue chez les adolescents : boire les alcools les plus forts, dans un laps de temps très court.
D’abord quelques chiffres.
Le rapport Kopp OFDT, 2015 nous éclaire un peu. Vous pouvez le voir les addictions coûtent 120 milliards d’euros par an, ces chiffres sont mis en avant mais on oublie de dire que les taxes sur l’alcool et le tabac rapportent énormément à l’état, l’alcool à lui seul rapporte 0,25% du PIB ! En parallèle, l’état économise également les retraites des gens décédés de cette maladie, car les décès surviennent souvent à la soixantaine.
Le budget publicité pour l’alcool s’élève environ 200 millions d’euros par an !
Environ 49 000 morts par an, l’alcool et les drogues étant une des premières causes d’hospitalisation. Et pourtant, 80 à 95% des personnes souffrant d’addiction ne sont pas traités !
Des recherches en alcoologie, oui mais pour quoi faire?
Quels sont les axes de recherche que la Fondation veut développer? Un maximum! Le but est d’étudier tous les parcours de consommation d’alcool.
- L’expérimentation : à l’adolescence, les premiers contacts avec l’alcool.
- La dépendance : l’entrée en maladie.
- L’abstinence ou consommation maitrisée : qui est la sortie et la guérison de la maladie.
Pour cela, il faut des approches pluridisciplinaires : sciences humaines et sociales, psychologie, médecine, sciences biomédicales, génétiques… Des formations pour le personnel soignant qui se trouve face à ces pathologies, mais aussi la création de centres spécialisés.
Lorsque l’on pense « maladie alcoolique », la cirrhose du foie vient en premier mais en réalité les autres organes sont profondément touchés : cerveau, pancréas, rate… Il suffit de 2 binge drinking ou comme on dit chez nous, 2 cuites (2g d’alcool par litre de sang) pour que la plasticité synaptique du cerveau soit touchée. La mémoire, la capacité d’apprentissage, l’état émotionnel, la capacité de contrôle, tout est touché.
La première rencontre avec l’addiction « définit » le rapport à la substance. Si la première fois, l’expérience est positive, agréable, le risque d’addiction à l’âge adulte est multiplié par 15 ! C’est le cerveau qui fait le choix de la consommation. Des études réalisées sur des sujets aux âges de 13 ans, 15 ans et 17 ans, peuvent prédire le rapport à la dépendance une fois adulte.
Boire de l’alcool, une pratique relativement récente
Les recherches en paléo-génétique (discipline fascinante que j’ai découvert lors de ce café) ont aussi déterminé que l’alcoolisme était une maladie « récente ». En effet, il y a encore 9 000 ans, l’organisme humain était incapable d’assimiler l’alcool. Pendant 90 millions d’années, nous n’avions pas la capacité de dégrader l’alcool.
A l’époque, l’alcool était un poison. Boire = Mourir.
Il y a 9 000 ans, plusieurs facteurs sont entrés en compte : réchauffement climatique, sédentarisation, création des villes… et une mutation génétique de l’ADH4 A est apparue en mutant en ADH4 G. Il a donné à l’humanité la possibilité de consommer des fruits « pourris », fermentés qui dégagent de l’éthanol donc de l’alcool.
Ce sont les individus porteurs de ce gêne qui ont survécu.
Les gênes sont là pour nous donner des compétences. Ici un gène de survie est devenu un gène de vulnérabilité.
Les résultats n’appartiennent pas aux chercheurs, mais au sujet. A lui d’en faire ce qu’il veut. Il faut redonner la main au patient.
Philip Norwood.
Cette maladie est multifactorielle. Les axes importants à développer pour la recherche s’orientent vers la prévention, la mesure des impacts de l’alcool sur le corps et l’accompagnement vers la guérison. Hors aucun médicament, aucune structure ne peut être créée sans la Recherche qui ne disposent pas des fonds adéquats pour réaliser ce travail.
Parlons Budget
Au niveau des publications scientifiques sur l’alcoologie, la France se place dernière pas loin de l’Italie, les meilleurs étant la Finlande et la Suède.
La France a beaucoup de mal à faire financer les recherches par l’état. Pour vous donner un ordre d’idée :
Un projet européen de recherche sur le binge drinking, Alcobinge a reçu 2,2 millions d’euros. L’Angleterre a eu toutes les autorisations en 3 semaines pour leurs tests, la France les a obtenus en 10 mois!
Comparons les budgets avec les champions en titre les Etats-Unis :
- 20 centres de recherches dédiés à l’alcoologie aux USA … 0 pour la France.
- Une centaine de chercheur aux USA … 0 en France sur cette thématique unique.
- 1,5 Milliard de Dollars pour la recherche sur les addictions dont 540 millions pour l’alcoologie … 20 millions d’euros pour toutes les addictions confondues en France.
Si on ramène ces budgets à taille humaine : le budget est de 1,35€ par américain pour 0,05€ par français.
En France, les plus gros budgets vont aux recherches sur la cocaïne, l’héroïne et le sucre, le budget dédié à la recherche sur l’alcool est quasi nul.
Le manque de budget entraine un autre problème. Certaines recherches ne peuvent aboutir et leurs résultats ne peuvent être utilisés. La vocation des chercheurs est pourtant de développer et partager leurs connaissances sur l’alcool et ses effets.
Notre goût du vin rouge et notre fierté pour notre Champagne internationalement réputé nous empêchent-il de voir la pathologie au fond du verre ? Est-ce pour cela que les budgets alloués à la recherche en alcoologie sont si minces ?
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