Lorsque l’on parle de sixième sens, on pense souvent, à tort, à l’intuition.
Pourtant d’un point de vue physiologique, la proprioception mériterait d’être reconnue comme le sixième sens qui vient compléter notre expérience humaine dans la palette sensorielle habituelle : la Vue, l’Ouie, le Goût, le Toucher, l’odorat. Comment se fait il que ce sixième sens ne soit pas reconnu ? Qu’est ce que la proprioception ? Qu’est ce qui se passe lorsqu’on en est privé ?
Un sens qui donne sens
Depuis l’antiquité, les philosophes discutent de la place des 5 sens qui nous permettent de percevoir notre environnement.
Aristote a ouvert le débat philosophique autour de la hiérarchisation des sens et jusqu’à la Renaissance, on distinguera des sens « supérieurs » : La vue et l’ouie ; et trois sens « inférieurs » – Le goût, l’odorat et le toucher. Ainsi, on a une vision divine et animale du corps humain. La vue et l’ouïe entrainent l’homme vers le corps divin alors que les sens « Inférieurs » l’entrainent vers le corps animal.
C’est seulement à la fin du XIXème siècle que Charles Sherrington aborde le concept de Proprioception pour le différencier de l’extéroception (la perception des stimuli externes par nos 5 sens visibles) et de l’intéroception (la perception de nos sensations internes comme la faim, la soif, etc…). La proprioception nous permet d’identifier la posture et la position de notre corps dans l’espace, c’est le sens innée de la propriété corporelle. Le célèbre neurologue Oliver Sacks nous décrit la proprioception :
Un « sens secret » – Ce flux sensoriel continu, mais inconscient, qui traverse les parties mobiles de notre corps (muscles, tendon, jointures) et grâce auquel leur position, leur tonus et leur mouvement sont en permanence contrôlés et adaptés d’une façon qui nous demeure cachée en raison de son caractère automatique et inconscient ».
Pour mieux comprendre, ce qu’est la proprioception, fermez les yeux et touchez votre nez. Sans utiliser aucun de vos 5 sens habituels, vous y parvenez facilement : vous n’avez pas besoin de vérifier ou se trouve votre main pour toucher le bout de votre nez, lequel se trouve normalement (et dans le meilleur des cas) au milieu de votre visage.
Pour les musiciens, danseurs, sportifs, la proprioception est un sens qui est développé finement pour acquérir le geste juste. Ainsi le pianiste n’a pas besoin de regarder ses doigts lorsqu’il joue une partition qu’il connait. Il sait doser la pression de ses doigts sur le clavier pour obtenir le son qu’il souhaite. Il y a ici une coordination entre les deux sens, proprioception et ouïe.
Si la proprioception n’est pas reconnue comme le sixième sens, c’est que sa découverte est très récente (1900). Plutôt plongé dans l’inconscient c’est lorsqu’il dysfonctionne qu’on s’aperçoit de son importance.
Quand la proprioception défaille…
Dans son livre « l’homme qui prenait sa femme pour un chapeau », Oliver Sacks raconte l’histoire de Christina, qui a la suite d’une polynévrite aigüe, perd le sens de la propriété de son corps. Elle ne pouvait pas rester debout sans regarder ses pieds, ni tenir un objet dans la main. Incapable de retrouver le sens inné du mouvement, elle était obligée de se servir de ses yeux pour pouvoir accomplir des gestes simples.
Sans son sens proprioceptif qui lui permettait de se mouvoir, de parler et d’avoir une certaine posture, elle devenait désincarnée, destituée de son identité. Car au delà de la perception innée de la corporalité qui régule l’équilibre, le tonus, la posture physique et le mouvement ; ce sens fondamental est le support des fonctions cognitives et l’ancrage fondamental de l’identité.
Vous est-il déjà arrivé de reconnaître quelqu’un de dos à sa manière de se mouvoir ?
Le corps tout entier participe à l’individualité. L’identité d’une personne se trouve également dans le corps et son mouvement, dans la posture et la voix. Ainsi, vous pouvez différencier les vrais jumeaux à leurs mouvements, postures, tonus.
Selon certains chercheurs comme le docteur Quercia, les troubles DYS (dyslexie, dysphasie, dyspraxie…) émaneraient d’un dysfonctionnement de la proprioception. On sait qu’on ne peut pas guérir des troubles Dys mais on peut contourner les obstacles pour réussir les apprentissages de la lecture et de l’écriture. La piste de la correction de la proprioception (au niveau des yeux, des pieds ou des muscles) pourrait apporter des améliorations dans le traitement de la dyslexie.
Développer la proprioception
Au même titre qu’un amateur de vin s’entraîne à reconnaitre les arômes des cépages qu’il goute, le sens proprioceptif peut être développé et affiné. Vous pouvez entrainer votre « sixième sens » en pratiquant des exercices physiques, des exercices de relaxation vittozienne, en consultant un ergothérapeute ou un professeur en technique Alexander…
Les travaux de recherche sur la proprioception sont encore très récents. Les dysfonctionnements du sens proprioceptif sont encore mal connus. Pourtant, nous gagnerions à mieux connaître ce sens particulier qui semble être à la base des 5 autres. Cette reconnaissance pourrait commencer par l’éducation : faire une place dans les manuels scolaires pour reconnaître la proprioception comme un sens à part entière comme la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher.
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