Nous sommes allées découvrir le chant diphonique du chaman Nikolay Oorzhak et nous n’en sommes pas sorties indemnes. Le concert était précédé d’un film « L’école Nomade » et d’une conférence avec Henri Lecomte, ethnomusicologue et Anne-Victoire Charrin, chercheuse en littérature slave.

La Russie – Vaste pays-continent de diversité

Au delà de l’Oural, en Sibérie, de nombreux peuples occupent le territoire russe : Nenetse, Bouriates, Khanty, Yakoutes, Evenks, Tchouktches…

Toutes ces ethnies disposent de leur langue, de leur tradition, de leur culture et vivent au coeur de la nature sibérienne avec leurs rennes. Le chamanisme fait partie de leur vie. Ils sont respectueux et humbles face à la grandeur et à la puissance de la nature. Les chasseurs remercient et honorent la dépouille de leur gibier. Certains d’entre eux parlent aux arbres et aux rivières. Le chaman est le trait d’union entre le monde des esprits et la réalité humaine.

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Ile d’Olkhon en Sibérie

A l’époque soviétique, les pratiques chamaniques perçues comme des rituels religieux ont été interdites. Dans certains territoires, des chamanes ont été exterminés par centaines. D’autres se sont prétendus artistes, acteurs et comédiens pour échapper à la répression soviétique.

Aujourd’hui, le chamanisme revient en force dans ces communautés ; les traditions d’hier ne sont plus menacées par la politique mais par le progrès. Les peuples encore nomades doivent s’adapter au reste du monde qui vient prélever les ressources de ces territoires riches (Pétrol, Gaz). Les enfants sont envoyés dans des internats pour recevoir leur instruction et vivent un déracinement culturel douloureux.

Profitant du courant New Age qui agite le monde occidental, un chamanisme financier s’est mis en place comme dans les rues de Kyzyl ou les plaques de chamanes sur les maisons attirent le touriste du monde entier.

Les observateurs ne voient pas cela d’un mauvais oeil, indiquant qu’il s’agit d’une goutte d’eau dans tout ce que la culture chamane propose. Le néo-chamanisme qui se pratique dans les villes permet de véhiculer une certaine reconnexion de l’homme à la nature. L’homme retrouve sa place comme animal intelligent au milieu du vivant. Par la musique, le travail de la voix, le son des tambours et les instruments folkloriques, nous sommes guidés dans un état modifié de conscience vers notre voyage intérieur.

C’est ce voyage méditatif d’auto-guérison que Nikolay Oorzhak nous a proposé accompagné de son fils au tambour et d’Igor Koshkendey à la viele et au chant diphonique.

Le chaman – Un vivant au milieu du vivant

La république autonome de Touva se trouve dans le sud de la Sibérie à la limite de la Mongolie. Nikolay Oorzhak dont les traits trahissent des ascendances mongoles, nous souhaitent la bienvenue en langue russe et nous propose un voyage sonore et méditatif au son du chant diphonique traditionnel.

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Son entrée en scène dans son costume de cérémonie laisse l’assistance dans un silence révérencieux. Sa voix profonde nous transporte au rythme du tambour. Elle se fait tour à tour légère, sifflante, vibrante. On a la sensation d’être en dehors du temps.

Puis apparaissent tour à tour deux autres musiciens. Le premier est l’héritier de Nicolay Oorzhak, son fils qui semble en totale déférence vis a vis de son père. Puis vient Igor Koshkendey dont le chant nous semble impossible tant il mélange des notes aïgues et graves. Je n’avais rien entendu de similaire auparavant.

Comment ces sons très différents peuvent-ils être sortir de la gorge d’un même homme ?
C’est comme s’il avait deux voix !

C’est cela le chant diphonique. Une technique qui utilise tout l’appareil phonatoire pour produire plusieurs sons différents en simultanée.
Nos chanteurs contemporains qui ne peuvent pas ouvrir la bouche sans auto-tune peuvent aller se rhabiller !

La performance vocale est époustouflante.

Nous sommes captivées par l’aisance de ce musicien, qui met de la joie et de la bonhommie dans ce concert et permet à la salle de se décrisper et d’applaudir.

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Une porte vers un état de conscience modifié

Pour ma part, le chant diphonique a provoqué un état modifié de conscience auquel je ne m’attendais pas. C’est une chanson menée par Igor Koshkendey qui m’a plongée dans cet état.

J’ai voyagé au dessus de grandes plaines vertes, j’ai survolé des falaises surplombant une mer agitée. J’ai vu un ours brun courir vers la forêt, des tentes en peau dressées au milieu des plaines. Une vraie pub pour la Nouvelle Zélande !
Ma respiration et mes sensations corporelles ne m’appartenaient plus vraiment mais s’entremêlaient avec le rythme de la musique et du chant diphonique. Mes paupières tressautaient rapidement.

Après cette première expérience, j’ai préféré garder les yeux ouverts pour la suite du concert. J’avais l’impression de recevoir une énergie considérable autour du coeur et du plexus solaire. A la fin, nous sommes sorties chargées d’une énergie étrange.

Nikolay Oorzhak nous avait indiqué que ce concert pouvait avoir des répercussions sur nos vies. Il nous a proposé de lui écrire pour lui faire part de nos constatations. Jolie induction !

Pour ma part, la nuit a été chargée en rêves et l’expérience du chant diphonique reste très présente. Ma vie changera-t-elle ? ;-)