Je vais me frotter à un sujet assez controversé… Le tantra. Le tantra yoga.

Qu’est-ce que cela évoque pour vous ? Certainement le cliché sur le sexe, peut-être des gens qui se rassemblent le temps d’un week-end pour se prodiguer des caresses guidées par un guru, ou des orgies accompagnées de consommation de vin et de viande. En tout cas c’est à peu près ce que le mot « tantra » évoquait pour moi.

Beaucoup de charlatans se proclamant être des adeptes du culte du tantra et vous proposant leurs ouvrages et services de (faux) gurus… Le livre d’André Van Lysebeth, réédité par Flammarion et son fils Willy Van Lysebeth, « Au Cœur du Tantra, le culte de la féminité » m’a inspiré confiance. Je savais que la thématique allait être traitée avec tout le sérieux nécessaire.

Effectivement 569 pages de l’ouvrage vous plongent dans la philosophie tantrique et vous décortiquent les pratiques. C’est peut-être un peu longuet par moment… Tout de même le style de Van Lysebeth poétique et pourtant ancré dans la réalité d’un Occidental et son sens de l’humour en font un voyage doux, lent, méditatif (comme la pratique du tantra elle-même).

Venons en aux faits. Qu’est-ce donc, le tantra ? Est-ce que ce sont des pratiques sexuelles réservées aux initiés et seulement ça ? Un moyen de réveiller sa libido, celle de son partenaire ? De pimenter sa vie de couple ?

La philosophie tantrique est ancienne. Très ancrée dans le sensoriel, dans le sexuel, le sensuel, mais c’est loin d’être que du sexe. Elle a eu le temps d’évoluer vers un système de pensée cohérent depuis des millénaires et aussi de devenir presque une pratique énigmatique, voire cachée. Voilà ses concepts principaux, son essence.

De l’un au multiple

L’essence du Tantra – « tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n’est pas ici n’est nulle part » – bouleverse la compréhension de toute la vie, de tous nos concepts usuels. La vie est un processus continu dans l’espace et dans le temps, sans cloison entre toutes les formes de vie. Sans début et sans fin. Je fais partie du Tout, je participe au Tout. L’Univers est Conscience et Énergie associées. Tout ce qui existe a toujours existé et existera. Par exemple, l’océan où je me baigne un soir d’été, lors de mes vacances n’est pas juste de l’eau salée qui fait des vagues (je simplifie). C’est la Mer/Mère originelle. Qui a toujours existé et dont toute la vie est issue, c’est le liquide amniotique, c’est l’élément qui crée, qui engendre, qui ressource.

En pratique, cela mène au respect total de toute la vie, de toutes ses formes – animale, végétale, bactérienne… Nuire à une de ces formes de vie, c’est nuire à sa propre vie. Étant donné qu’elle fait partie d’une continuité, d’un ensemble où tout est lié, tout est interaction.

L’écologie en prend une dimension beaucoup plus importante !

Shares

Notre corps

« Toute vérité réside dans le corps humain. C’est pourquoi tous les mystères du monde devraient être élucidés à l’aide des termes mêmes du corps humain »

N. Bhattacharya (History of the Tantric Religion)

Selon la philosophie tantrique le corps ne serait pas juste un amas de cellules dirigé par notre cerveau qui, lui seul, a la conscience. Elle est la propriété du corps tout entier. Toutes nos cellules ont une conscience et sont en communication.

Notre corps est produit et animé par une Intelligence créatrice, la même qui a engendré et qui préserve l’Univers. Et ce corps a du potentiel caché, insondable, des énergies extraordinaires qu’on n’utilise pas et dont on a même pas conscience la plupart du temps.

Ce n’est pas juste de la chair mortelle et limitée dans l’espace et le temps. Notre présent est fait d’innombrables passés. C’est facile à réaliser – il suffit de penser que chaque spermatozoïde qui féconde une ovule et engendre un bébé, porte en lui toute son hérédité, toute son histoire et celle de tous ses ancêtres, et sans doute celle de la vie depuis les origines. L’être n’est donc pas limité au présent : il s’insère dans un processus éternel.

Comme l’océan dont j’ai parlé plus haut.

Comment ressentir cette spiritualité dans son corps ? Ressentir ce corps-univers sacré ? Pratiquer la lenteur, le silence, l’immobilité, l’intériorisation, se mettre à l’écoute de soi pour recueillir un maximum de sensations pour en devenir conscient. Il est essentiel d’accorder du temps à l’expérience. Cultiver la réceptivité. Que l’on soit dans la nature en train de contempler une belle vue, en train d’écouter les cigales chanter par une soirée d’été, toucher l’écorce d’un arbre, ou que l’on soit en train de faire l’amour (on verra ça plus tard ;)). Prenez du recul, placez vous-mêmes et ce que vous contemplez ou touchez dans la continuité du temps et de l’espace, ressentez les énergies qui animent tout ceci…

La mort dans le tantra

« Le Tantra est, avant tout, le culte de la vie sous toutes ses formes ; il en accepte toutes les implications, les servitudes, les joies, les peines. La vie est une expérience dont tous les aspects doivent être assumés, des plus humbles aux plus sublimes. »

C’est de la pleine conscience, de la pleine présence.

La mort pour le tantra est le moteur même de la vie qui, sans elle, perdrait tout charme, tout sens. C’est le contraire de naître et pas l’absence de la vie. Quoi qu’il en soit, l’être humain survit dans ses descendants, dans leurs gènes éternels.

La mort est vue par les tantriques comme le guru suprême. Faire face à la mort c’est pouvoir donner à la vie plus de relief, la vivre consciemment, pleinement. C’est de ne pas fuir la mort à tout prix, mais de la préparer en vivant le plus longtemps et sainement possible, en s’occupant le mieux possible de son corps, « sa république cellulaire ».

Le culte de la Féminité

Selon le tantra, la Femme est Déesse-mère, l’origine de toute création, de toute vie, l’initiatrice, elle est source de jouissance. La Femme c’est la Shakti, l’énergie primordiale d’où émergent l’univers manifesté.

C’est l’incarnation d’une énergie cosmique ultime, vivante et présente dans tout. Et cette énergie créatrice est dans toute femme.

Son mystère est celui de la vie. C’est la force créatrice, ce dynamisme créateur qui produit l’ovule et qui fait qu’il soit fécondé ou pas. Le mystère de la femme comprend également son psychisme. Elle est intuitive, sensible car elle est accordée aux rythmes cosmiques qu’elle capte. Le cycle lunaire, le cycle menstruel de la femme… un exemple de ce lien.

Shares

Qu’en est-il de l’homme dans tout ça ? Il est bien là, Shiva, il est présent et il porte la moitié du capital génétique. Toute création, l’Univers et toutes ses manifestations viendraient de la rencontre de deux énergies, Shakti et Shiva. Le fameux Big Bang…

Mais le plan de base, biologiquement parlant, de toute espèce est féminin. Avant que l’embryon devienne une fille ou un garçon, tout embryon est fille (c’est très bien expliqué dans le livre).

Les adeptes du tantra considèrent que l’opposition entre l’homme et la femme n’a pas lieu d’exister, n’a pas de sens. C’est la logique du monde patriarcal qui la crée, avec la discrimination des femmes. La femme tantrique doit faire émerger d’elle la Femme, réaliser qui elle est, et l’homme tantrique – juste accepter sa propre féminité cachée en lui, sans se déviriliser, et restructurer sa propre vie autour des valeurs de la féminité.

Les valeurs féminines 

Les valeurs mâles sont celles de l’intellect. C’est l’entendement, la logique, le raisonnement. La femme, elle, est guidée par l’émotion (non une émotion irraisonnée et incontrôlée) : l’amour, l’affection, le contact avec la nature et les rapports humains vrais. Le monde féminin est tout ce qui transcende l’irrationnel, c’est la sagesse qui dépasse le savoir intellectuel.

Shares

La Femme-Déesse ne cherche pas à régir le monde, elle ne requiert pas de domination d’un sexe sur l’autre. La Déesse n’exclut pas le mâle, elle le contient (comme la femme enceinte contient un fœtus mâle). Cette énergie féminine EST le monde, elle est manifestée en chacun de nous, que l’on soit homme ou femme. C’est notre sensibilité, notre vulnérabilité et la capacité d’accepter nos émotions. Ce qui nous incite à percevoir notre divinité, à sentir le caractère sacré de notre corps.

Et donc le sexe et la sexualité

On y arrive. Le sexe étant l’expression de la Vie par excellence est très important pour les adeptes du tantra. Toute union sexuelle est sacrée, car elle reproduit l’acte créateur ultime, l’union des principes cosmiques Shakti-Shiva. Le culte vise à spiritualiser le sexe et à diviniser les partenaires : tout acte créateur s’accompagne de jouissance. La libido cosmique est le dynamisme fondamental de la création. Le sexe devient sacré car il permet de relier l’être au cosmos.

L’acte sexuel ne se borne pas à l’expérience d’un pénis et d’un vagin. Ce ne sont pas Madame et Monsieur Dupont qui font l’amour pour avoir quelques secondes d’orgasme (avec un peu de chance !) pour mieux s’endormir par la suite… Je caricature.

Selon les tantriques, c’est une plénitude prolongée, l’union totale de deux êtres, corps, mental et esprit. C’est la rencontre de deux énergies, la rencontre de deux principes créateurs, sans domination de l’un ou de l’autre, sans rôles bien distribués. L’un et l’autre s’empreignent de la personnalité de chacun, se pénètrent au sens fort du terme. Ils reconstituent un seul être. Le but étant de se satisfaire mutuellement oui, mais surtout de transcender ses individualités limitées (des Dupont) pour connaître l’union cosmique avec la Vie. Se sentir partie intégrante de la Création, d’un Tout sans limites.

Notre sexualité étant bipolaire, avec le pôle « espèce » dans les organes génitaux et le pôle « individu » dans le cerveau, le tantra nous invite à fusionner les extases de ces deux pôles pour atteindre un état de conscience modifié, de transcender sa conscience dite primitive pour une expérience extrêmement plus puissante (l’éveil de l’énergie Kundalini).

« L’union sexuelle, comprise de cette façon, suspend la loi de la dualité, provoque une ouverture extatique. La loi de la dualité étant suspendue dans la simultanéité de l’ivresse, de l’orgasme et du ravissement qui unit deux êtres, on peut provoquer l’état d’identité qui préfigure l’illumination absolue, l’inconditionné ».

Le Yoga tantrique

Bien sur, cette expérience n’est pas simple d’accès. Certaines modifications dans la pratique et un entraînement s’imposent. Il s’agit d’apprendre à « méditer » à deux plus que de vivre un coït habituel, usuel.

Shares

Sexualité tantrique, mode d’emploi

La description des différents rituels (plutôt à titre d’information), comme le Yoni Puja (l’adoration du sexe féminin) ou la Chakra Puja (ascèse à seize), des positions sexuelles, des sons et symboles à utiliser est très complète et claire.

« Il s’agit d’établir un courant d’échanges entre les sens et leur objet, sans hâte, sans désir d’appréhender quoi que soit. Dans notre culture, où cette attitude fait défaut, l’expérience sexuelle perd l’essentiel de ses potentialités, le contact est bref, l’orgasme féminin rare, celui de l’homme trop précoce, « forcé » par des mouvements prématurés »

Si vous avez envie de jouer les apprentis tantriques, vous trouverez tout ce qu’il faut dans le livre.

Vos ébats devront se transformer. L’orgasme ne sera plus le but ultime. Il ne s’agit bien sûr pas de renoncer aux orgasmes génitaux, mais de les « dépasser », transcender peu à peu pour une extase totale. De la part de l’homme ceci implique le contrôle de l’éjaculation (qui n’est pas l’équivalent de l’orgasme masculin !), son retardement voire son absence (mais pas celle de l’orgasme).

Vous lirez un chapitre très fourni sur la maîtrise sexuelle pour le Shiva (homme) et la Shakti (femme) : des exercices yogiques pour apprendre à retarder l’éjaculation par une meilleure concentration, une gestion de ses énergies, ses mouvements et le contrôle du souffle, ainsi qu’à muscler le vagin et le périnée, etc.

Tout ne sera certainement pas applicable pour nous, les Occidentaux, mais il y a beaucoup à en tirer, même sans devenir tantrique, pour améliorer sa santé et sa vie sexuelle actuelle.

Tous tantriques ?  

C’est un livre que j’ai aimé lire. On y revient de temps en temps, il se lit comme une encyclopédie. Dans ce monde d’hommes, de technologie, de performance, c’est un livre qui fait du bien. Ecrit et réédité par deux hommes, il est assez féministe. La femme y est douce mais forte et puissante, elle y est maternelle mais sexuelle. Il déculpabilise la sexualité, le plaisir, démystifie la frigidité et l’impuissance et nous ouvre les yeux sur tout ce que beaucoup se refusent par simple puritanisme ou ignorance. Il est riche, profond, détaillé et nous ramène à nous-mêmes.

Le tantra dépasse de très loin le culte du sexe. L’énergie sexuelle est fondamentale dans le tantrisme, mais c’est surtout l’expansion du champ de conscience, la prise de conscience des aspects cosmiques de la vie.

On revient au fait que toute expérience (non-sexuelle) peut être vécue comme tantrique.

Le tantra étant tout d’abord une autre façon d’être et de sentir. Revenir aux valeurs féminines. Revenir à la nature. Privilégier l’intuition. Respecter la Vie. Pour se libérer de notre quotidien rébarbatif, de dépasser l’intellect et de saisir la réalité ultime… Donc d’épanouir notre personnalité.

Alors oui, pourquoi pas tous tantriques ? ;)

 

Au coeur du Tantra, le culte de la féminité

André Van Lysebeth

Éditions Flammarion

Prix : 23€

Acheter sur Amazon