Depuis que je dirige Bienheureusement, il m’arrive fréquemment d’échanger avec certains d’entre vous par mail. Dernièrement, j’ai été contactée par une jeune femme qui travaille dans la Police. On échangeait sur la gestion du stress et la manière dont il est pris en charge dans la Police, et j’ai voulu savoir comment elle vivait l’actualité. Sa réponse m’a vraiment touchée et je lui ai demandé si elle voulait bien témoigner pour Bienheureusement. N’hésitez pas à partager massivement. Evitons l’amalgame.

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Voilà près de 10 ans que je suis rentrée dans la Police car j’ai toujours été animée par ce profond désir de sauver « la veuve et l’orphelin », combattre les méchants, rétablir la justice en restant au coeur de l’action. Je pense que cela a été le cas pour la majorité de mes collègues… au début tout du moins.

En dehors de tout débat lié à l’actualité, nous sommes des milliers à travailler jour et nuit pour attraper le voleur d’un sac à main, l’agresseur d’un voisin, le tagueur de votre mur, un cambrioleur…

Au nom de tous ces policiers qui œuvrent dans l’ombre et face à cette vague de haine « anti-flic » qui me touche personnellement, j’ai envie de vous parler de nous.

Certes, nous n’avons pas tous la même motivation ni la même ferveur au travail mais ne nous jetez pas la pierre, nous sommes humains. Nous sommes tous différents et cela est valable pour la Police aussi.

Alors qui sommes-nous ? Moi, je suis une mère-célibataire, végétarienne, écolo, fille de réfugiés politiques, bilingue..et flic !

Et mes collègues ? Sûrement pas des fachos, ni des racistes. En tout cas, ils ne ressemblent pas à cette image du « policier facho assoiffé de sang prônant la violence envers ces pauvres métèques issus de quartiers difficiles » dont j’entends parfois parler.

Notre travail ?

Nous protégeons les mineurs en danger, nous assurons la circulation, nous prenons vos plaintes, nous retrouvons les agresseurs de votre enfant, nous assurons le déminage des colis suspects, nous retrouvons votre téléphone portable ou votre portefeuille, nous surveillons les usagers du métro,  nous enquêtons dans le domaine criminel,… Il existe tellement de postes différents qu’il est difficile de tous les citer. Souvent ils sont très fatigants, stressants, épuisants…

Les heures supplémentaires défilent au compteur mais la satisfaction d’arrêter les coupables vaut de l’or.

Nous ne touchons pas de prime à chaque résolution d’affaires, nos heures supplémentaires ne sont pas payées mais nous les récupérons, quand nous le pouvons.

Nous subissons un tel stress depuis ces dernières années que notre administration a lancé une vaste campagne d’information visant à détecter des fonctionnaires dépressifs voire suicidaires, avec à notre disposition une ligne téléphonique 24h/24, 7J/7 au cas où…
Nous avons perdu des acquis sociaux qui ne font qu’alimenter notre manque de motivation face à une administration qui nous demande à chaque fois plus. Nos commissariats tombent en ruine, notre matériel est obsolète et/ou cassé. Pour ceux qui sont affectés en région parisienne, ils leur faut attendre plus de 10 ans pour être mutés chez eux, en province, mais bien souvent ils ont déjà fait leur vie en Ile-de-France.

Il existe une mixité incroyable dans la police qu’elle soit culturelle, religieuse, ethnique, sociale ou scolaire. Mes collègues sont mariés à une femme ou un homme, ou célibataires endurcis… ils sont athées, agnostiques, catholiques, musulmans, juifs et parfois fraîchement convertis… ils ont des enfants métisses… Ils sont végétariens… sportifs de haut-niveau…sont musiciens, chanteurs, danseurs… ils sont de gauche… de droite… d’en haut, d’en bas.

Mais ils sont aussi parfois fatigués d’être loin de leur famille, d’avoir mal au dos à cause de tout ce poids qu’il faut porter, d’être (encore) passé à côté d’une prime qui au fond aurait bien arrangé le banquier, d’avoir vu les autres obtenir leur mutation ou leur avancement, d’être insultés constamment en pleine rue, d’être considérés comme un numéro plutôt qu’un être humain, etc.

C’est une lourde fatigue physique et psychique avec laquelle il faut composer au quotidien face à la dureté de notre métier.

Et plus récemment, nous avons peur d’être pris pour cible… peur de tomber sur un fanatique qui ne fera qu’une bouchée de notre gilet par balle quand il dégainera son arsenal contre lequel notre 9mm fera office de pistolet à eau.

Nous sommes policiers même lorsque nous terminons notre service, et c’est là notre engagement le plus loyal envers notre patrie, et les citoyens. Nous avons fait un pacte avec le diable en choisissant de mêler notre vie personnelle à notre travail car c’est ça être flic et parfois nous le payons cher et notre famille aussi.

Je ne me plains pas, j’assume, mais il y a quelque chose d’anormal dans tout cela. Nous sommes discrédités aux yeux de la population, nous sommes le jouet des hommes politiques qui n’ont que faire de nos conditions de travail et amputent nos budgets au nom d’une dette qui ne cesse de s’accroître. Il y a un gros malaise et chaque fait divers ne fait qu’alimenter la boulimie médiatique dont les patrons se gavent en gardant les yeux rivés sur le taux d’audience ou de vente, surtout à la veille des élections présidentielles.

Pour terminer, je dirai que j’ai peur, je l’avoue ; qu’on s’en prenne à moi, à mes enfants car je suis flic à la « vie » comme à la scène. Pourtant, mon travail est important pour moi, je l’ai choisi et je continuerai à le faire avec toute mon humanité. Je sais parfaitement que je ne suis pas là seule.